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Le suicide est-il une solution ?

Manuscrit

Auteur

Auteur Louis Aragon

Descriptif

Manuscrit non daté de Louis Aragon destiné au premier numéro de La Révolution surréaliste.

Cette lettre d'enquête a été envoyée à l'imprimeur par André Breton le 3 novembre 1924. Le numéro entier comporte des faits divers de suicide relevés par les surréalistes : intérêt sociologique, car le suicide était très à la mode depuis le livre de Durkheim consacré au sujet ; intérêt par ailleurs littéraire, le mouvement comptant à ce moment déjà le célèbre suicidé Jacques Vaché. Paul Lafargue, le gendre de Marx, s'était suicidé en 1911 ; Lénine avait demandé du poison avant de mourir. Le ton de sérieux qui se dégage de cette enquête fait diversement écho au désir surréaliste d'explorer la réalité, comme le note Michael Sheringham, mais aussi d'interroger avec gravité la conduite de l'existence.

Pierre Naville évoque l'enquête en ces termes :  « L’entreprise surréaliste s’est toujours trouvée liée à certaines façons de poser une question. Rien ne pouvait mieux refroidir les lecteurs que cette obsédante parenthèse, qui précède toute affirmation de la vie, surréelle ou non ; c’était demander : pourquoi vivez-vous ? Puisqu’il vous est toujours loisible de cesser cette existence – et sans autre scrupule que de savoir si vous faites ainsi bon usage d’une liberté dont vous hésitez à vous débarasser. La presse fait état, chaque jour, de suicides inexpliqués, inexplicables. C’est une forme d’extinction de la vie dont la fascination, la hantise ou l’utilité ne se démentent pas dans l’espèce humaine. Elle appelle la pitié, la commisération, le respect aussi, assez rarement l’humour, même quand il s’agit de Vaché. Nous nous sommes heurtés les yeux ouverts à cette question préalable - et pour nous préliminaire au soulèvement préconisé, à l’espoir, à l’amour, à la vie. Désespoir ? En rien. Nous préférions, à ce moment, faire le point comme les navigateurs. (...) Je vois bien qu’en 1924 l’inquisition de La Révolution surréaliste ne visait pas à quelque tableau général des cas possibles, des accidents, des innombrables failles qui sillonnent un sort imprévisible. Elle demandait assez ingénuement si la mort volontaire pouvait se concevoir comme le substitut de tout ce qui s’appelait révolution, et non si la souffrance parvenait quelquefois à éteindre l’imagination même la plus égarée. C’était mettre fin aux rodomontades de Dada, proclamer inadmissibles, envers et contre tout, les défaillances de l’imagination, sous réserve de ce respect qu’il faut consentir à ceux qui ont estimé devoir en passer par là, à quelque titre que ce fût. Mais c’était en même temps inaugurer l’aube nouvelle par une interrogation imprescriptible et toute générale sur la mort. C’en était assez pour chagriner l’esthétique en vogue, mais davantage rappeler à l’ordre des choses graves, tous ceux qui prêtaient l’oreille de notre côté. Qu’on y songe un peu : tant de jeunes hommes, tant de jeunes veuves et d’orphelins, en ces années d’après-massacre, ne pouvaient se considérer qu’au titre de survivants ! L’hécatombe avait pris les dimensions d’un suicide de la nation, et l’on en vit les effets plus tard. (...) Le suicide des nations et celui de leurs habitants sont-ils aussi une solution ? »

Aragon avait lui-même écrit la même année un poème intitulé « Suicide » ; il faut noter que Breton lui-même était traversé de pulsions suicidaires résultantes de phases dépressives ; le poème « Plutôt la vie », publié dans Clair de Terre, les évoquait.

On notera que cette enquête a été ajoutée au dernier moment : la première version de la deuxième de couverture n'incluait pas l'appel. Les réponses seront données dans le deuxième numéro. [Site André Breton, 2022]

Bibliographie

Louis Aragon (Anonyme), « Enquête », La Révolution surréaliste, n°1, décembre 1924, p. 2.

Lieu d'origine