La Collection

Accueil > Œuvres > [C'est 8 h 10 du soir, dehors il pleut...]

[C'est 8 h 10 du soir, dehors il pleut...]

Lettre datée de Maloja, le 11 août 1933

Correspondance

Auteur

Auteur Alberto Giacometti
Destinataire André Breton
Personnes citées Cuevas de Vera, Stella, René Crevel

Descriptif

Lettre d'Alberto Giacometti à André Breton, datée de Maloja le 11 août 1933.

Transcription

Maloja le 11 août 1933

Mon très cher ami,

C’est 8 heures 10 du soir, dehors il pleut, j’ai tourné un peu autour de la maison, entré, sorti, je me suis assis 5 minutes sur un escalier et puis sur une pierre je suis seul et aucune envie d’aller plus loin ni dans la possibilité de faire quoi que ce soit hors de t’écrire, seule occupation qui me retient. — J’espère de ne pas trop t’ennuyer après les misérables lettres de l’autre jour (je les ai envoyées pour réagir contre la grande difficulté que j’avais pour t’écrire provoquée par un très grand sens d’infériorité, d’ailleurs justifié, et puis ce jour-là je voulais te donner de mes nouvelles et il m’était impossible de faire moins mal !)

Je voudrais tant savoir quelque chose de toi, je suis content si tu m’envoies même une carte postale. Cette nuit j’ai rêvé d’être au café de la Place Blanche ; nous étions plusieurs, il y avait une nappe blanche sur la table, mais je ne me rappelle plus les détails du rêve. — Depuis que je n’ai plus des occupations imposées par les circonstances, depuis mercredi, je me retrouve, moi, ici, seul, complètement désorienté dans un vide où toutes les choses m’échappent (mes projets de travail et autres faits à Paris ont perdu toute consistance). J’en suis à la recherche d’une planche pour juste me tenir debout. Tant de choses qui à Paris avaient un certain air de réalité manquent ici, mais je ne le regrette pas, au moins pour le moment. Il me semble être au milieu d’un inconnu complet où le premier mot est à trouver. Et puis l’air ici est très dissolvant, avant tout pendant le jour, un vent léger souffle de tous les côtés et semble traverser la tête ; on se sent un crâne avec des grandes fenêtres aux rideaux très fins par où passent les courants d’air et la lumière du soleil, alors je finis par rentrer à la maison où j’essaie de peindre, de dessiner ou de lire[.]

J’ai vite l’impression [Trait entre « jʼai vite », « peindre » et « dessiner »] qu’il ne faut pas insister, périmé [sic], l’espèce de refuge, un tableau, encore un tableau ! Je peux avoir l’illusion, je sais que c’est une illusion d’un certain contentement (je manque de mots) on peut mettre un cadre, on est orienté, tout est dans l’ordre ! Je ne sais pas où doit finir cette phrase et puis je pense que c’est uniquement subjectif[.]

Hier après-midi, j’étais assez longtemps assis sur une hauteur pas loin derrière la maison de cette très jeune fille ou enfant (je voudrais savoir l’âge qu’elle a). Tout le village bien que très près avait l’air réduit, comme vu à travers des [dessin de jumelles] (jumelles ?) renversées. Vingt fois elle est sortie, rentrée par trois ou quatre portes différentes, elle allait chercher une corbeille dans un bâtiment à côté, jetait des pierres contre les murs en dançant (?) sur soi-même (?), courrait acheter des fruits, puis paraissait en haut d’un escalier ouvert pour vite disparaître à [sic] l’autre côté de la maison, en s’assurant chaque fois que si j’étais encore là ; à cette distance on voyait tous les gestes et les mouvements de la tête mais pas les traits, la figure n’était qu’une petite tache d’un brun très clair qui changeait de dimension selon la direction de son regard invisible. Aujourd’hui je n’ai pas eu la force de retourner, l’approche d’un orage, arrivé enfin à 6 heures, annulait toute possibilité de mouvement. _________________________ Et je n’ose pas te faire lire davantage, et tout d’un coup je me sens fatigué. Est-ce que je verrai un jour ton écriture ?

Très affectueusement,

Ton ami Alberto Giacometti.

[P.-S. –] Crevel mʼa téléphoné, il semble très inquiet (aussi de ton silence !) toujours commune — Madame de Quevas.

 

Date de création11/08/1933
Adresse de destination
Notes bibliographiques

Une feuille recto-verso, deux pages, lettre signée, dessins, ratures. - Ms encre noire.

Languesfrançais
Lieu d'origine
Bibliothèque

Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : BRT C 833

Nombre de pages2 pages
Crédit© Fondation Alberto Giacometti
Référence19001024
Mots-clés, ,
CatégoriesCorrespondance, Lettres à André Breton
Série[Correspondance] Correspondance avec Alberto Giacometti
Lien permanenthttps://www.andrebreton.fr/fr/work/56600101001769
Lieu d'origine
Lieu d'arrivée