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[Quelle joie vertigineuse ce matin...]

Lettre datée du 29 avril 1938

Correspondance

Auteur

Auteur Wolfgang Paalen
Personnes citées William Blake, Max Ernst
Destinataire André Breton

Descriptif

Lettre de Wolfgang Paalen à André Breton, datée du 29 avril 1938.

 

Transcription

Paris 29 avril 1938

 

Mon cher André,

Quelle joie vertigineuse ce matin : la lettre de Cuba. Je n'osais pas l'ouvrir tout de suite, pendant un long moment elle restait le fléau entre les plateaux de tout espoir et de toute crainte de cet instant de ma vie.

Depuis j'ai lu et relu ce message radieux que tu appelles préface, il a changé la couleur de ce jour et je suis encore trop ému pour trouver quelques misérables mots qui puissent ressembles à ce merci que je voudrais le dire du fond de mon cœur, je reste trop confondu devant la miraculeuse beauté de ces lignes tellement au-delà de tout ce que je pouvais espérer trop confondu devant ton incomparable générosité d'avoir ainsi éclairé, pierre philosophale en forme de soleil, toute la contrée de mes désirs et angoisses; d'un éclat qui dépasse de si loin mon « paysage ».

Mon très cher André, pardonne moi d'avoir pesé sur des heures, d'avoir encore ajouté à la fatigue. Tu peux croire que je m'en voulais vraiment de cette folle exigence et que je ne pouvais pourtant pas ne pas insister cas ce message de toi était ce que je désirais le plus au monde.

Je t'écris un peu comme on se jette à l'eau, il ne fallait pas moins que la distance d'un océan pour que j'essaie de te dire une fois, combien ton amitié, la plus sublime et la plus compréhensive qui soit, a illuminé toute mon existence.

Que c'est par toi que j'ai trouvé mes seules valables raisons d'exister, que toi seul a découvert pour nous tous le nouveau monde ou la pensée ne se couche jamais, que j'entrevois parfois la lumière sur des horizons de l'avenir et du passé si lointains que ta royale simplicité les situerait à peine dans son orbite. Combien je souhaite que tu trouves à peu près ton Mexique.

J'étais bien affligé de la tristesse de ce gris voyage jusqu'à Cuba mais je suis trop profondément convaincu que tu ne puisses rien faire qui ne « vaille la peine » pour être sûr qu'il y aura des magnifiques rencontres et quelques-uns de ces éclairs de compréhension qui seuls me semblent porter la couleur du bonheur.

Je n'ai rien fait depuis ton départ j'essaie parfois de ne pas rester enfermé dans la peinture, pourtant mon seul terrain de possibilités immédiates; il me semble souvent qu'il vaudrait mieux de tirer au clairs quelques pensées, plus universelles, résoudre quelques énigmes entre le visible et le pensable au lieu de toujours les masquer d'autres énigmes.

Les peintres n'ont pas encore fait parler le sphinx vieux comme Oedipe (d'ailleurs passablement escamoté dans son fameux complexe) et je ne crois pas pouvoir me contenter indéfiniment des trop fugaces lueurs de réponses qui apparaissent dans des tableaux - miroirs, dans les yeux sauvages d'obsidienne et de nature encore trop miroirs.

Je tiens une déplorable comptabilité des évènements, je ne sais pas au juste ce qui s'est passé depuis ton départ, d'autres amis l'auront mieux renseigné sur ce qui reste de notre ambiance en ton absence. Je suis bien touché que tu t'intéresses même à la préparation de mon exposition, je suis maintenant à peu près sûr de pouvoir rester, je lâcherai d'attendre ton retour en faisant l'exposition fin juin chez Colle.

Tu trouveras que ce n'était pas la peine de te presser tellement, pardon encore, mais je ne pouvais pas bien le prévoir et ta préface m'importait tellement plus que tout le reste.

Je voulais t'écrire tout de suite, te remercier pour la carte de Lisbonne, ce signe si amical, mais j'étais trop "absent" dans cet état de décalage que j'appelle pour moi « perte de vitesse ».

A l'exposition de la peinture anglaise, Hogarth m'a bien déçu et je continue à détester la laborieuse platitude des préraphaélites; un beau dessin de Blake, femmes michelangelesques convulsées qui font penser aux « mariées du vent » de Max Ernst. Quelques lueurs chez Constable mais presque toutes ces toiles noyées dans une lumière couleur bouillon dans cette triste galantine muséale.

En allant à mon atelier j'entendais tout à l'heure sur le Zanlev. J. Jacques un très petit garçon dire à un autre: « Tous les arbres, c'est la mer ».

J'essaie vraiment de vous voir toi et Jacqueline dans une ambiance que je ne peux pas imaginer, seules mes pensées les plus profondément amicales vous trouvent.

J'espère tant que ta santé se maintient que tu trouves quelques instants de répit.

Je ne sais pas comment te remercier, puisse ma vie trouver un jour, que la merveilleuse, si généreuse confiance en moi restera sans regret.

Tout ce qu'on peut espérer de plus merveilleux pour toi et Jacqueline de nous deux.

Pour toujours de tout cœur à toi, mon très cher André,

Ton Wolfgang

Toutes les amitiés d'Eva.

 

Date de création29/04/1938
Notes bibliographiques

Ms, encre noire - six pages signées.

Languesfrançais
Lieu d'origine
Bibliothèque

Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : BRT C 2228

Modalité d'entrée dans les collections publiquesDon Aube et Oona Elléouët à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, Paris, 2003
Nombre de pages6 p.
Crédit© succession Paalen, 2022
Référence19001893
Mots-clés,
CatégoriesCorrespondance, Lettres à André Breton
Série[Correspondance] Correspondance avec Wolgang Paalen
Lien permanenthttps://www.andrebreton.fr/fr/work/56600101001891
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