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[Je vous remercie...]

Lettre datée du 25 novembre 1923

Correspondance

Auteur

Auteur André Breton
Personnes citées Forain, Messein, Arthur Rimbaud, Jean Cocteau, Raymond Radiguet
Destinataire Jacques Doucet

Descriptif

Lettre d'André Breton adressée de Paris le 25 novembre 1923 à Jacques Doucet.

 

Transcription

Paris, le 25 novembre 1923

Très cher Monsieur,
je vous remercie de votre lettre et des cartes d’invitation pour les Arts décoratifs. J’ai visité l’exposition coloniale avec grand plaisir. Je crois que les organisateurs auraient pumieux faire : la sculpture océanienne est on ne peut plus mal représentée. Toutefois, parmi tant d’œuvres qui ne se recommandent par aucune particularité réelle, j’ai distingué et j’ai admiré à loisir deux pièces, selon moi, de premier ordre. Toutes deux appartiennent à la collection Haviland et vous les avez certainement remarquées : ce sont, d’une part, une statue d’homme très ancienne, efflanquée et aux bras démesurément longs, dans une salle du fond et une tête, massive, d’ébène, aux yeux caves, qui repose sur un socle clair dans la seconde salle, je crois. Il est certain que je donnerais tout le reste de l’exposition pour ces ceux pièces les plus belles que j’aie jamais vue, à beaucoup près. J’ai examiné très attentivement les objets de Vignier, que je ne connaissais pas. Pour moi j’estime que le choix qui les a réunis est infiniment moins judicieux. Ici l’intérêt archéologique prime nettement l’intérêt artistique ou l’intérêt intellectuel en général. C’est l’art nègre considéré sous le même rapport que l’art égyptien ou l’art oriental, cela part d’un point de vue discutable, étant donné l’impossibilité de remonter en art nègre à une antiquité véritable, et le peu de résistance de la matière sculptée, le bois, sur lequel le temps finit par agir davantage que le sculpteur. J’aimerais savoir, Monsieur, ce que vous en pensez. Dans l’ordre moins purement artistique que celui où je place les deux pièces d’Haviland, et même, pour ainsi dire, dans l’ordre religieux, je me suis arrêté longtemps devant la grande statue de la Nouvelle‑Guinée, que reproduit l’affiche de l’exposition. C’est vraiment une chose immense. J’ai remarqué aussi plusieurs autres merveilles, en tout quatre ou cinq, qu’il me serait difficile de caractériser par écrit mais sur lesquelles j’aimerais attirer votre attention, si vous voulez me permettre de vous accompagner lors de votre seconde visite au musée.
Je vous aurais téléphoné hier, sans ce maudit rhume qui me rend pour l’instant presque incapable de parler. Je voulais pourtant vous demander ce que vous pensez de la tournure prise par l’histoire Rimbaud. Je n’ai pas adressé de réponse au Figaro, pensant que M. Forain, même de mauvaise foi, aurait toujours gain de cause et tenant, avant tout, à prendre votre avis. Dire qu’on va gâcher les prochaines éditions de Rimbaud par l’addition de cette méchante petite pièce ! M. Forain qui en son for intérieur, déteste évidemment Rimbaud, comme l’attitude la plus contraire à la sienne, M. Forain doit se réjouir ! Et le manuscrit ne porte pas même de signature, alors que tous les autographes de Rimbaud de cette époque sont signés, comme on peut s’en convaincre en feuilletant l’album en fac‑similé publié par Messein. Il est certain qu’on a affaire à une copie, — de la main de Rimbaud, soit. Tout de même s’il me prenait la fantaisie de copier pour un ami quelque « poème » de Cocteau, serait‑ce une raison suffisante pour me l’attribuer un jour quand je serai mort ? Et naturellement il se trouverait alors un Radiguet quelconque pour affirmer qu’il me l’a vu écrire. La littérature est décidément un triste repaire.
Avez‑vous vu, cher Monsieur, que ce dernier Radiguet s’est vu accorder par l’autorité militaire un sursis pour lui permettre de terminer un second roman, plus génial que le premier3 ? C’est à peine croyable.
Pardon, cher Monsieur, de vous ennuyer si longtemps. Je vous prie de vouloir bien présenter mes hommages très respectueux à Madame Doucet et de me croire votre très affectueux et dévoué.
André Breton.

Bibliographie

André Breton, Lettres à Jacques Doucet, éd. Étienne-Alain Hubert, Paris, Gallimard, coll. Blanche, 2016, p.168-171.

 

Librairie Gallimard

Date de création25/11/1923
Notes bibliographiques

 Deux pages sur un feuillet 27 × 21 cm, en‑tête imprimé : LITTÉRATURE / 6e année / DIRECTEUR : / ANDRÉ BRETON / 42, Rue Fontaine, PARIS (IXe) / Secrétaire de la rédaction : / MAX MORISE / 24, Avenue de Breteuil, PARIS (VIIe) / Administration : / 24, Avenue de Breteuil, PARIS (VIIe) / Dépositaire général : Librairie Gallimard / 15, Boulevard Raspail, PARIS (VIe). Encre verte. — Enveloppe 11,5 × 14,5 cm, en‑tête imprimé LITTÉRATURE / 24, Avenue de Breteuil, PARIS (VIIe). Encre verte. Suscription : « Monsieur J. Doucet / 46 avenue du Bois de Boulogne / E. V. / XVIe ». Cachet : Paris Gare Saint‑Lazare 1 h 30 26‑XI‑1923.

Languesfrançais
Lieu d'origine
Bibliothèque

Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : BLJD 7210-38

Crédit© Aube Breton, Gallimard 2016
Mots-clés,
CatégoriesCorrespondance, Lettres d'André Breton
Série[Correspondance] Lettres à Jacques Doucet
Lien permanenthttps://www.andrebreton.fr/fr/work/56600101001041
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