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Descriptif

Lettre d'André Breton à Jacques Doucet, le 29 avril 1923, sans adresse.

 

Transcription

Dimanche 29 avril 1923

Très cher Monsieur,

il me semble aussi très intéressant de fixer pour votre bibliothèque ces quelques points de l’histoire poétique à laquelle je me suis trouvé mêlé. J’attendrai, pour le faire, seulement que vous m’indiquiez de quelle manière vous envisagez ce travail. Plusieurs méthodes se présentent en effet : je puis rédiger pour vous des sortes de mémoires personnels où je ferai apparaître de mon mieux les hommes et les idées qui m’ont été plus ou moins familiers et spécifierai les limites dans lesquelles ils ont participé à une action commune, ou d’un esprit commun. Ce n’est peut‑être pas là le moyen le plus rationnel de procéder : ces choses sont encore trop près de moi pour que je n’en juge pas quelque peu partialement et que je ne me montre pas injuste envers certaines attitudes après tout, défendables. Beaucoup plus significatif me semblerait le fait de recueillir un certain nombre de témoignages écrits qui, pour n’être certainement pas concordants, faciliteraient en tout cas l’intelligence de la période qui nous occupe et permettraient le plus grand jeu des idées. Il y a toujours intérêt à situer les gens dans leur sphère et à ne les interroger que sur ce qu’ils savent. Dans les notes assez nombreuses qu’il vous a remises, Aragon, par exemple, s’est surtout attaché à rendre le côté pittoresque, anecdotique des quelques événements auxquels il a pris part. Il est impossible de dégager de ces notes rien qui puisse servir à une caractérisation bien nette de l’évolution poétique de ce temps. Pour cela il faudrait résolument aborder la question technique et, je crois que seul Eluard est capable de le faire. De même il serait extrêmement curieux, à mon sens, de demander à Tzara de se prononcer sans rancune inutile et avec précision sur le cas d’un certain nombre d’individus qu’il a fréquentés, tels que Huelsenbeck, Arp, Picabia, Ribemont‑Dessaignes, Aragon, Soupault, Péret, Eluard, Desnos, Baron, etc. Soupault aurait, je pense, quelque chose à dire de la manière comparée dont lui et nous nous envisagions la vie ; techniquement toujours Vitrac me paraîtrait le plus qualifié pour parler de théâtre ; Desnos nous entretiendrait avec profit de ses dernières recherches poétiques, très importantes et qui sont vouées sans cela à l’hermétisme le plus complet. Je pourrais, si vous le désiriez, Monsieur, mener cette sorte de consultation de manière à la rendre à peu près définitive, y apporter le cas échéant mes réflexions et constituer ainsi un dossier homogène et complet qui évitera à l’avenir toute erreur d’interprétation.

Je suis prêt à vous donner par écrit, d’autre part, tous les renseignements désirables sur la Vie moderne et, d’ailleurs, sur Paris‑Journal, à exposer pourquoi la collaboration à ces deux feuilles n’a eu pour moi qu’un temps. En ce qui concerne les interviews du Journal du Peuple, je me permettrai aussi de vous faire connaître mon opinion un peu plus tard, quand la série s’en sera poursuivie. Il est, en effet, très indiqué de savoir ce que, de son côté, en pense Vitrac qui a eu là une initiative assez heureuse.

Je vous parlerai, Monsieur, comme vous le demandez, de ce projet de recherches d’ouvrages peu communs et qui figureraient avantageusement parmi vos livres. Je vais y réfléchir encore. À notre prochaine entrevue je vous remettrai (avec toutes sortes de précautions, car c’est décidément plus que licencieux) la copie dactylographiée du roman de Péret qui contient des pages de toute beauté.

Je vous prie, en finissant, de vouloir bien m’accorder deux jours de vacances : demain et mardi, que je compte passer chez Eluard, à sa nouvelle maison de campagne d’Eaux‑Bonnes, sauf contre‑ordre de votre part.

Je vous prie, Monsieur, de présenter mes hommages les plus respectueux à Madame Doucet. Ma femme se rappelle très affectueusement à votre souvenir. Je suis, Monsieur, de tout cœur votre

André Breton.

Bibliographie

André Breton, Lettres à Jacques Doucet, éd. Étienne-Alain Hubert, Paris, Gallimard, coll. Blanche, 2016, p.143-145.

 

Librairie Gallimard

Date de création29/04/1923
Notes bibliographiques

Deux pages sur un feuillet 27 × 21 cm, papier bleu. Encre bleue.

Languesfrançais
Bibliothèque

Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : BLJD 7210-31

Dimensions21,00 x 27,00 cm
Crédit© Aube Breton, Gallimard 2016
Mots-clés,
CatégoriesCorrespondance, Lettres d'André Breton
Série[Correspondance] Lettres à Jacques Doucet
Lien permanenthttps://www.andrebreton.fr/fr/work/56600101001031