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[J’ai eu quelque peine...]

Lettre datée du 6 février 1923

Auteur

Auteur André Breton
Destinataire Jacques Doucet
Personnes citées Legrain, Man Ray, Henri-Pierre Roché, Chaïm Soutine, Paul Éluard, Max Ernst, Paul Guillaume

Descriptif

Lettre d'André Breton à Jacques Doucet, envoyée de Paris sans adresse de destination le 6 février 1923.

 

Transcription

Paris le 6 février 1923

Très cher Monsieur,

j’ai eu quelque peine à joindre Man Ray, ce qui ne m’a pas permis de vous faire connaître plus tôt le résultat de ma démarche.

Après d’assez longs pourparlers j’ai fini par obtenir pour vous le tableau à quinze cents francs. Même à ce prix, Man Ray opposait une assez sérieuse résistance (Roché lui avait conseillé de ne pas abandonner sa toile à moins de trois mille francs et s’offrait, paraît‑il, à la lui faire acheter.) Il a fallu tout le désir que peut avoir Man Ray de voir le tableau dans votre collection pour le faire renoncer à (l’excès de) ses prétentions. J’ai eu tout le loisir d’examiner à nouveau l’œuvre en question et suis bien persuadé que vous ne regretterez rien.

Comme je vous le disais hier j’aimerais beaucoup, Monsieur, que, sans tenir compte de mes avis, vous jetiez bientôt un coup d’œil sur le Max Ernst. Il se peut, malgré tout, que je me trompe et, comme c’est par mon intermédiaire que vous aviez suggéré à Ernst d’entreprendre ce tableau, je préférerais infiniment ne pas en être seul juge, ce qui risquerait, au cas où je donnerais une réponse purement négative, de me priver de sa confiance et de celle d’Éluard.

Savez‑vous, Monsieur, qu’à la Licorne, 110 rue La Boétie a lieu en ce moment une exposition de peintres russes parmi lesquels Soutine ? J’ai pensé qu’il pouvait vous être agréable d’apercevoir un petit ensemble de toiles de ce peintre, dont quelques‑unes sont, je crois, assez récentes. À la vitrine de Paul Guillaume j’ai remarqué une très belle nature morte du même.

Je suis passé tout à l’heure rue de la Baume pour visiter l’exposition Miklos. Malgré toute l’attention que j’ai pu apporter à cette visite, il m’est assez difficile de vous donner formellement mon avis. Je suis, vous le savez, assez peu familiarisé avec l’esprit décoratif moderne et dès qu’on me sort de la poésie, de la peinture, de la sculpture où l’œuvre peut être considérée comme un but et non comme un moyen, le critérium me fait un peu défaut. Dans le cas qui nous occupe, s’il m’arrive de rapporter à un courant d’idées général les recherches de Miklos, je ne leur trouve, comme je crois vous le craigniez, aucune espèce de raison d’être ou de nécessité profonde. En particulier les bas‑reliefs qui, par définition je crois, demandent à être considérés sous cet angle, me déplaisent franchement. Il en va de même, loin de là, de toutes ces sortes de petits objets de luxe tels que presse-papiers, bonbonnières, etc. De tels objets, que défend à mes yeux leur charmante utilité (et quand bien même ils apparaîtraient inutiles) se passent aisément de toute autre justification et il est bien entendu que je n’en connais pas aujourd’hui d’autres supportables. Je ne sais pourquoi cependant dans leur recherche l’esprit, ils sont loin de m’intéresser autant, par exemple, dans l’esprit, que les œuvres de Legrain. Les dernières me semblent directement inspirées des conditions modernes de la vie ; elles me paraissent presque toujours résulter d’une trouvaille. Elles ne me semblent pas devoir vieillir tandis que les premières pèchent à mes yeux par excès de raffinement. Cette comparaison n’a évidemment pas grand sens mais je compte vous la justifier de vive voix.

Excusez‑moi encore, Monsieur, au sujet du numéro des Feuilles libres que j’avais par mégarde conservé rue Fontaine. Je le rapporterai demain matin rue de Noisiel. Je vous prie de croire, cher Monsieur, à mes sentiments les plus affectueux et dévoués.

André Breton

 

Bibliographie

André Breton, Lettres à Jacques Doucet, éd. Étienne-Alain Hubert, Paris, Gallimard, coll. Blanche, 2016, p.138-140

 

Librairie Gallimard

Date de création06/02/1923
Notes bibliographiques

Quatre pages 21 × 16,5 cm sur un feuillet 27 × 21 cm plié, portant au verso l’adresse imprimée en bleu : Le Select « American Bar » / 100, Champs-Élysées, feuillet utilisé à l’envers. Encre violet pâle.

Languesfrançais
Lieu d'origine
Bibliothèque

Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : BLJD 7210-28

Dimensions21,00 x 27,00 cm
Crédit© Aube Breton, Gallimard 2016
Mots-clés,
CatégoriesCorrespondance, Lettres d'André Breton
Série[Correspondance] Lettres à Jacques Doucet
Lien permanenthttps://www.andrebreton.fr/fr/work/56600101001026
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