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[Vous m'avez demandé d'écrire...]

Lettre datée de Clamart, le 9 juillet 1926.

Correspondance

Auteur

Auteur Ernest de Gengenbach, dit aussi Jean Genbach
Destinataire André Breton
Personnes citées Jacques Maritain, Jean Cocteau

Descriptif

Lettre datée de Clamart, le 9 juillet 1926, d'Eugène Gengenbach à André Breton.

Cette lettre figurait dans le dossier Gegenbach. Elle sera imprimée dans le n°8 de La Révolution Surréaliste. [Site André Breton, 2019]

 

Transcription

Clamart ce 9 juillet[,] 11h du soir 

Mon cher Breton. [sic]
Vous m'avez demandé d'écrire ce que je pensais sur la question religieuse. 

Écrire, penser, lire, me poser des problèmes : tout cela depuis longtemps me devient difficile et impossible. Agir aussi. Ayant vu un jour dans une devanture de librairie sous les noms Maritain et Cocteau quelque chose qui était intitulé prétentieusement :

Poésie et Religion

J'ai acheté le livre : il y était question de Dieu. Cela m'a conduit finalement à l'abbaye de Solesmes. Ce que j'ai vu de plus curieux à l'abbaye de Solesmes c'est non pas Dieu, mais Reverdy, épave du ciel, en extase devant un rosier, ou circulant en sabots dans son jardin, ou pleurant pendant les offices.

J'ai pris quelques notes de retraite que je vous confie – mais à part la mort, aucun problème n'est assez étrange, suggestif et merveilleux pour se proposer à un esprit... Et puis mon esprit ne se pose plus de problèmes. Il n'y a pas de question religieuse, il n'y a pas de question...

Je connais surtout un désir violent de :

« Contemplation » et de « Liberté »...

L'Occident me fait souffrir atrocement : tout mon être intime et lointain se tend vers l'Orient et si pour y arriver, il n'y a pas d'autre moyen que l'anéantissement et l'annihilation fût-ce par le feu et le sang de tout cet Occident pourri, alors vivement la Révolution.

La Religion, comme le mot « Dieu » est pour moi vide de sens... Des dogmes, des rites, du théâtre, de l'intellectualisme, etc. Les cloîtres permettent aux névrosés, aux écorchés vifs de vivre en un lieu où on leur foutra la paix...Les habitants des cloîtres se foutent du monde...

Dans la vie sociale la religion est matière à commerce, à ambition, elle sert aux épiciers, aux imagiers, aux orfèvres : elle est aussi (cf : Maritain) un lieu favorable aux joûtes [sic] métaphysiques. Des saints, ayant la foi pour qui cette foi soit une raison de sacrifice. Je n'en ai jamais vu...

Partout des hommes qui veulent s'affirmer, s'opposer, se retrancher en eux : le saint est un homme qui s'efface, qui s'oublie, et qui se donne à cause d'une foi : il vit sous la sagesse et la contemplation : il se consume avec ardeur et passion pour cette foi...

Mais encore une fois, autre chose est d'avoir la notion intellectuelle de la religion et de poser une question religieuse, autre chose que de faire une expérience mystique avec découvertes, explorations de l'inconnu, invention dans un domaine où jusque là on ne présentait rien...

Il n'y a pas de question religieuse...

Mais il se peut qu'un monsieur fumant et buvant à une terrasse de café soit pris soudain d'un désir violent et imprévu de s'en aller dans un cloître, par caprice ou par goût de l'absurde, et que là où les moines ne voient rien il découvre quelque chose. S'il rencontre un saint, il aura peut-être la sensation de l'inédit, de l'ahurissant, de l'extraordinaire. Cette expérience mystique vaudra pour lui et pour lui seul : elle sera réductible à tout essai /enregistrement sismographique de tous les psychiatres, hagiographes et amateurs littéraires de pieuses légendes ou de cas pathologiques.

Pour moi, j'ai une foi. Pourquoi ? Je n'en sais rien mais pas plus que je ne sais pourquoi j'ai des cheveux, des dents, et des boyaux. Je ne désire pas le savoir.

Puisse tout cela ne pas vous paraître incohérent.

Je ne cherche ni à convaincre ni à comprendre. Une orange, une cerise est [sic] pour mon esprit une question plus essentielle et plus intéressante que la question religieuse. Et puis, je vous l'ai dit, je sens que de plus en plus mon esprit ne se pose plus de questions.

En somme :

- l'inquiétude de l'esprit
- l'angoisse de l'âme
- la détresse de ma chair et de mes nerfs

tout cela je l'ai maintenant à l'état endémique. La solution religieuse me répugne comme toute les autres, parce que bêtement pragmatique. Il n'y a encore que le rêve qui soit pour moi l'évasion dans l'Infini, l'éternel, et l'Illimité.

 

Bien amicalement vôtre,

E. Gengenbach
 

Bibliographie

- André Breton (dir.), La Révolution Surréaliste, n°8, p. 28-29, décembre 1926.

Date de création9/7/1926
Adresse de destination
Languesfrançais
Notes

Ms - encre bleue 

2 feuilles in-4°

Lieu d'origine
Référence366000
Vente Breton 2003Lot 1130
Mots-clés,
CatégoriesCorrespondance, Lettres à André Breton
Série[Archives] Dossier Genbach, [Correspondance] Lettres de Jean Genbach, [Revue] La Révolution surréaliste
Lien permanenthttps://www.andrebreton.fr/fr/work/56600101000744
Lieu d'origine
Lieu d'arrivée