La Collection

Accueil > Œuvres > [Ce matin seulement ta lettre datée du 6 !...]

    Descriptif

    Lettre d'André Breton à sa fille Aube du 28 août 1953, Saint-Cirq-Lapopie.

     

    Transcription

    St Cirq, le 28 août 1953.

    Ma petite Aube chérie, 

    Ce matin seulement ta lettre datée du 6 ! Je rêvais un peu que ce serait toi qui m’écrirais la première mais je n’y comptais pourtant qu’à demi. Toujours est-il que j’aurais depuis longtemps pris les devants si cette grève dont, ici, faute de journaux, il était bien difficile d’apercevoir les limites ne m’avait découragé de jeter quoi que ce soit dans une boîte qui n’annonçait plus que les levées fussent faites. Tu penses si l’on est content d’avoir enfin de tes nouvelles. Faut-il tout de même que la vie soit méchante pour que des semaines et presque des mois s’écoulent sans que nous sachions rien, toi de nous, nous de toi, et pourquoi faut-il que ces vacances, que j’aurais souhaitées pour toi — à ton âge — si dégagées de tout souci se soient trouvées assombries au départ du fait des perspectives mêmes de la rentrée ? Je continue à m’en inquiéter très vivement et je n’ai pas changé d’avis sur la nécessité où tu vas être de doubler la seconde au lycée : autrement dit je ne puis me ranger à l’opinion de Jacqueline quant à l’éventualité d’un retour à Raspail. J’ai eu beau me creuser la tête, je n’ai pu découvrir d’autre solution : j’estime que bon gré mal gré il te faudra en passer par là.

    Je crois qu’il est temps de regarder la situation en face puisque nous allons être en septembre et je voudrais bien savoir à quoi, sur ce point, tes réflexions t’ont conduite.

    Nous comptons, Elisa et moi, rentrer à Paris dans le courant de la semaine prochaine. Il aura déjà été bien difficile de tenir (matériellement) jusque-là. Nous espérons que, de Paris , quelqu’un comme Lyka pourra nous conduire en voiture jusqu’à Lorient car il paraît de toute façon bien téméraire, dans l’état actuel des trains, d’y aller d’ici comme nous faisions les autres années : les trois ou quatre correspondances sont par trop aléatoires. Sais-tu vers quelle date toi-même tu rentreras ?

    L’été, comme d’ordinaire, a été très beau à St-Cirq et nous n’avons certes pas à nous plaindre qu’on nous y ait laissés trop seuls. On y a vu tour à tour Julien Gracq  et sa sœur, Lise et Jacques Parson, Juliette et Man Ray , H.-P. Roché , Hélène Tournaire et Pauwels , Claude et Monique Lévi-Strauss , Dolorès , Simone , Annie et Adrien Dax , Toyen , Goldfayn , Anne et J.-L. Bédouin , Schuster , Maryse et Michel Zimbacca , Benayoun , Jean-Jacques Lebel, etc. Il est rare que nous ayons été moins de douze à quinze à la table de Julia, qui est aussi bonne que celle de Laure était exécrable. Pour l’instant nous n’y sommes plus que cinq (avec Péret , Paalen et Marie Wilson ). La plus grande animation a été marquée autour d’un jeu que j’ai découvert et sur lequel je me propose de faire une longue communication écrite : je crois que c’est, poétiquement, d’une importance capitale (de nature à révolutionner la conception de l’image poétique) : Dolorès , si vous l’avez vue, vous en a sans doute parlé.

    Uli , qui avait assez bien tenu le coup jusqu’à ces derniers jours grâce au régime strictement végétarien, s’est de nouveau déplumé gravement et n’est pas beau à voir ! Elisa s’inquiète fort de l’avenir du petit martinet : il est tout à fait exclu qu’il puisse vivre à Paris . Tu n’es pas sans savoir que les martinets émigrent en hiver. Il paraît donc de toute nécessité que tu lui ménages la liberté suffisante pour qu’il puisse, au moment du départ général pour l’Afrique (qui ne saurait beaucoup tarder, ici les rassemblements préliminaires ont déjà commencé), suivre les autres. Y as-tu pensé ?

    L’affaire de Cabrerets me semble enfin résolue. Selon toute vraisemblance, bien que mon avocat ait négligé de m’en avertir, le délit qu’on m’attribuait est couvert par la loi d’amnistie votée il y a quelques semaines. Ouf !

    À bientôt, ma petite Aube . Écris encore. Transmets, je te prie, nos pensées à Jacqueline et à Huguette. Je t’embrasse très tendrement.

    André

     

    Bibliographie

    André Breton (Jean-Michel Goutier éd.), Lettres à Aube, Paris, Gallimard, coll. Blanche, 2009, p. 81 à 83

    Librairie Gallimard

    Date de création28/08/1953
    Date du cachet de la Poste28/08/1953
    Adresse de destination
    ProvenanceSaint-Cirq-Lapopie, Lot
    Lieu d'origine
    Bibliothèque

    Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : Ms Ms 41363_78

    Modalité d'entrée dans les collections publiquesDon Aube et Oona Elléouët à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, Paris, 2003
    Crédit© Aube Breton, Gallimard 2009
    Référence19004949
    Mots-clés, ,
    CatégoriesCorrespondance, Lettres d'André Breton
    Série[Correspondance] Lettres à Aube
    Lien permanenthttps://www.andrebreton.fr/fr/work/56600101000121
    Lieu d'origine
    Lieu d'arrivée