La Collection
Accueil > Œuvres > [ici c'est un peu comme à la Martinique...][ici c'est un peu comme à la Martinique...]
Lettre datée de Port-au-Prince, le 13 décembre 1945
Auteur
Auteur André BretonPersonnes citées Elisa Claro Breton, Jacqueline LambaDestinataire Aube Breton, épouse Elléouët
Descriptif
Lettre d'André Breton à sa fille Aube Breton, datée de Port-au-Prince le 13 décembre 1945.
Transcription
Port au Prince, 13 décembre 1945
Aube de mon cœur,
Ici c’est un peu comme à la Martinique mais en plus grand. Il y a tous les arbres merveilleux de la terre : l’arbre à pain, l’avocassier, un autre, juste à ma fenêtre, qui s’appelle le sablier et dont les fruits éclatent en coups de pistolet quand ils sont secs, l’arbre des voyageurs ainsi appelé parce qu’il suffit de faire une coupure profonde dans son tronc pour pouvoir en extraire un litre d’eau fraîche quand, loin de toute habitation, on a trop soif, etc. Sur une grande partie de la campagne se déplie ce qu’on appelle ici le « manteau de saint Joseph » : ce sont ces feuillages rouges ou roses qu’on vend en pots chez les fleuristes de New York pour Noël (tu vois ce que je veux dire ?) mais à Haïti ce sont de vrais arbres par leur grandeur et il y en a des forêts. Il y a aussi beaucoup d’autres arbres à fleurs rouges, roses, lilas, violettes : ce sont les flamboyants dont on ne voit plus les feuilles sous les fleurs et qu’on a appelés ainsi parce qu’on dirait des arbres en feu. Et sous tout cela circulent sans interruption des négresses qui portent sur la tête des paniers chargés quelquefois aussi hauts qu’elles, tout en grignotant une canne à sucre. Tu as eu de la chance de voir cela quand tu étais petite parce que moi je ne faisais qu’en rêver en regardant les livres quand j’étais petit. Je pense qu’en ce moment tu es tout entourée de neige alors qu’Élisa et moi nous ne savons comment nous défendre de la chaleur. Je pense à toi, je pense que je vais être quatre très longs mois sans te voir mais je me dis aussi que je vais ensuite aller te chercher pour t’emmener à Paris et cela me rassure parce qu’il y a trop longtemps, tu sais, que j’ai perdu l’habitude de te voir tous les jours et d’avoir avec toi de très grandes conversations sur tout. Tu sais, ma petite Aube chérie, comme je voulais t’envoyer pour ta fête quelque chose d’Haïti que tu ne connaisses pas encore mais les boutiques d’ici sont pauvres comme celles d’un village : on a eu beau fouiller toutes les rues, on n’a pas réussi à découvrir quelque chose qui te fasse sûrement plaisir. Je préfère envoyer à Jacqueline l’argent que je voulais consacrer à ton cadeau pour qu’elle te trouve une chose dont tu aies envie. Et en rentrant on te rapportera les petites choses supplémentaires d’ici, qui paieraient d’ailleurs de trop forts droits de douane si je voulais te les expédier. Ça ne te fait rien ? Tu veux bien attendre un peu ? Ma belle petite Aube je te souhaite une très belle fête : n’oublie pas de me raconter en détail comment elle s’est passée, qui tu as vu, ce qu’on t’a donné et aussi pour Noël, un jour que je suis toujours triste de passer sans toi. Avais-tu reçu ma carte de Miami ?
Écris-moi, ma très belle. Élisa t’embrasse. Je te soulève très haut dans mes bras.
André
Bibliographie
André Breton (éd. Jean-Michel Goutier), Lettres à Aube, Paris, Gallimard, 2009, p. 21-22
Librairie Gallimard
Date de création | 13/12/1945 |
Date du cachet de la Poste | illisible |
Adresse de destination | |
Notes bibliographiques | 1 page 1/2 in-4° |
Provenance | Port-au-Prince, Haïti |
Lieu d'origine | |
Bibliothèque | Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : Ms Ms 41363_21 |
Modalité d'entrée dans les collections publiques | Don Aube et Oona Elléouët à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, Paris, 2003 |
Crédit | © Aube Breton, Gallimard 2009 |
Référence | 19004920 |
Mots-clés | lettre, martinique |
Catégories | Correspondance, Lettres d'André Breton |
Série | [Correspondance] Lettres à Aube |
Lien permanent | https://www.andrebreton.fr/fr/work/56600101000061 |