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Le fait de donner à ma pensée...

Manuscript

Author

Author Marcel Noll

Description

Réponse de Marcel Noll à l'enquête sur le suicide de La Révolution surréaliste (janvier 1925).

Une des nombreuses réponses à l'enquête sur le suicide lancée en novembre 1924. Celle de Marcel Noll se distingue par sa longueur. Elle est aussi la dernière à être reproduite, comme étant la plus intéressante. [Site André Breton, 2022]

 

Transcription

Le fait de donner à ma pensée une expression susceptible d’être comprise par ceux qui la liront, voilà bien ce qui passe pour ma force, voilà bien ma faiblesse. Chaque jour, je constate que rien n’est dit parce que l’homme a besoin de clarté et que les signes désespérés de son inquiétude sont toujours les mêmes.

Abandonnons l’orgueil, les déceptions, l’humiliation de la pensée devant le cœur, cet hiver je porte la tête haute.

Qui m’appelle ? (je ne suis pas seul au monde ?) Je n’ai d’autre désir que de me tenir bien tranquille au soleil, à l’ombre, que d’avouer ma faiblesse, moi qui ne suis pas faible, et de tendre mes mains vers d’autres, très belles et que je sais. Mais l’ignoble exploitation de ce que j’aime par les autres, le sentiment que CELA NE PEUT DURER, m’obligent à la colère et au délire. Ma colère m’ordonne de me sacrifier et je me sacrifie journellement, parce que je suis libre. Depuis longtemps, je crois à la valeur de ce sacrifice et je ne me ménage plus, ma confiance en la vie devient de jour en jour plus forte et de jour en jour plus aveugle. Dans cette lutte pour gagner l’homme, je triompherai et je ne me réjouirai pas. Victoires, défaites, tout se heurte à l’héroïsme.

Mais déjà vous vous attribuez mes armes que je ne dissimule pas. Je veux bien croire que vous rêvez, vous me frappez à la tête et au ventre, mais je vous montre mon cœur, neuf et pur comme au premier jour. Mes tours, mes grimaces, c’est vous qui les ferez. Cela vous va si bien.

Dernièrement, l’un des vôtres est venu me voir. Mais il me parlait de trop loin. Pour toute réponse, je lui ai montré le fleuve qui roulait à nos pieds, ce fleuve qui, peut-être, nous avait toujours séparés. Il disait : « Mon immensité, c’est un corps humain en perdition. » Alors j’ai dirigé mon regard vers le sien et comprenant ce qu’il me demandait je lui ai donné un poignard. Quelques heures après, il s’en était servi, il avait « donné sa démission ».

D’autres viendront ; tous, ils répondront affirmativement à mes conseils, sans savoir si je serais plus heureux de les voir partir, bâtir des villes, fonder des royaumes. Et je vous promets formellement qu’aucun ne se ratera.

Si je vis encore, c’est que je n’ai rien trouvé d’autre que moi-même à opposer à l’éternité. Vous sourirez, impunément, hommes de tous temps qui m’isolez avec des vieux mots faits pour vous : naïveté, candeur, d’autres encore que je ne connais pas. Je vous laisse sur un pied, votre journal à la main. Ouvrez-le, il porte en manchette cette phrase d’Oscar Wilde : « Ce qui est exprimé ne mérite plus l’attention. »

Me voici encore, le désespoir est encore à la place de l’espoir, indulgent plutôt qu’implacable. Les autres ont acquis l’intelligence d’une destinée donnée, le mécanisme secret de cette destinée ne les effraie pas. Je suis quand même au milieu d’eux. Et qu’ils sachent que si je bois, c’est pour briser ensuite le verre dans mes mains.

Je ne suis pas un désespéré, je suis un mourant. Regardez comme mon sang coule bien maintenant.

Bibliography

Marcel Noll, « M. Marcel Noll », La Révolution surréaliste, n°2, janvier 1925, p. 15.

Creation date[sd, circa 1925]
Bibliographical material

Ms, encre noire - 2 feuillets grand in-4°

LanguagesFrench
Library

Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : 7208 (31)

Method of acquisition and collectionCollection Jacques Doucet
Size16,00 x 32,00 cm
Number of pages2 p.
Keywords, , ,
CategoriesManuscripts, Surrealists Manuscripts
Set[Revue] La Révolution surréaliste, 2
Permanent linkhttps://www.andrebreton.fr/en/work/56600101002006