The Collection

Home Page > Works > [On m’annonce ta lettre...]

    Description

    Lettre d'André Breton à Simone Kahn, datée du 30 janvier 1925.

     

    Transcription

    30 janvier 1925

    Mon chéri, mon chéri, mon chéri,

    on m’annonce ta lettre, je l’aperçois, je la prends, je baise l’enveloppe, je l’ouvre. Ne t’inquiète pas, c’est parce qu’on a laissé « Les lauriers sont coupés » sur le piano. Mais tu n’as pas l’air très heureuse, petit chéri. Ce n’est pas comme le jeune Max dont le rêve a quelque chose de triomphant. J’ai d’ailleurs toujours soupçonné ce personnage d’être un nomade impénitent et qui pis est, un nomade qui s’ignore. Mais ce rêve est merveilleux, d’une étonnante personnalité, d’un humour absolument spécial. Dis-­lui que je l’aime bien et que je regrette de ne plus voir s’inscrire dans l’embrasure de ma porte sa longue et charmante tête de bois. Pas de neige, alors, pas de chance ? Pauvre petite amie, pauvre petite bien-aimée ! Et quelles jolies phrases elle trouve, écoutez-­moi ça : « La nuit la neige (le peu qu’il y a) répand une lueur on dirait un regard. » Et voilà la petite Simone qui a fait son portrait…

    Les lettres de Simone, les cheveux de Simone quand elle va prendre un bain, les grandes réflexions de Simone sur un divan, la sagesse surprenante de ce joli bébé… Mais tu n’es pas heureuse, tu as encore de la fièvre, les gens sont encore plus bêtes que rue Fontaine ! Mon trésor il faut être très patiente n’est-­ce pas ?

    Par ici peu de choses. Déjeuner chez Doucet hier Aragon, Éluard, [Ruault ] et moi. Demain matin rendez-­vous chez Masson avec le même Monsieur. Pas parlé du Chirico. Tout à l’heure je vais rejoindre Aragon et Artaud au café de l’Univers. Baron est resté à Paris. T’ai-­je dit que mon portrait ne passait pas dans le prochain n° de La R.E. et qu’Aragon n’ayant pas reçu d’épreuves il y a tout lieu de craindre à quelques tours de Soupault. Beau conte de celui-­ci dans Le Journal, aujourd’hui. On voit beaucoup Masson (naturellement, dit le petit ange). Ses derniers tableaux très bien, en grand progrès. Artaud s’absente pour quelques jours. Le manifeste sera imprimé mardi.

    Vais t’envoyer l’ignoble petit ouvrage dû à la collaboration d’Éluard avec l’ombre de Péret. Denise m’a écrit, ou plutôt m’a répondu. Aragon lui a fait parvenir les 900 F de Commerce *. Je l’ai invitée d’autre part à collaborer au glossaire du merveilleux (c’est presque l’idée que tu avais eue, souviens-­toi) ; elle accepte très volontiers.

    Je déjeune et je dîne presque toujours seul, ou plutôt Chouka et moi chacun sur une chaise, très sérieusement.

    On n’a toujours pas le livre de Desnos.

    Masson, Leiris, Artaud et Tual, quelle découverte ! Tu verras. Toujours pas aperçu Rigaut ? Crevel quitte Les Nouvelles littéraires.

    Et maintenant des baisers.

    [Dessin de pissenlit dispersé au vent. Sur les aigrettes s'envolant, on peut lire : pour les yeux, pour les cheveux, pour le cou, pour le mollet, pour les mains]

    André

     

    Bibliography

    André Breton, Lettres à Simone Kahn, ed. Jean-Michel Goutier, coll. « Blanche », Gallimard, Paris, 2016, p. 228-230.

    Librairie Gallimard

    Creation date30/01/1925
    Postmarked date31/01/1925
    Destination address
    LanguagesFrench
    Copyright© Successions André Breton, Simone Kahn et éditions Gallimard
    Reference0123460
    Keywords,
    CategoriesCorrespondence, Letters from André Breton
    Set[Correspondance] Lettres à Simone Kahn, [Revue] La Révolution surréaliste, 3
    Permanent linkhttps://www.andrebreton.fr/en/work/56600101001871
    Place of destination