Description

Lettre d'André Breton à Jacques Doucet, envoyée de Paris, le 27 novembre 1924.

 

Transcription

Paris le 27 novembre 1924

Cher Monsieur,

pardonnez‑moi d’avoir mis à vous répondre un temps mesuré par ma longue indisposition. Il m’eût été agréable de vous dire plus tôt combien je vous sais gré de votre dernière lettre, qui me rend confiance en moi‑ même vis‑à‑vis de vous. Ce caractère « pas facile », que vous voulez bien ne pas détester malgré tout, s’il ne me joue pas les plus mauvais tours, me dessert, je le sais, à chaque instant, me cabre en face de ce qui m’est pourtant le moins hostile, — et me rend assez malheureux. Ce que vous voulez bien dire de l’estime que vous me gardez me rassure une fois de plus et me fait apprécier à sa valeur le crédit que, trois ans durant, vous n’avez cessé de me faire. Qu’au bout de ce temps vous ne trouviez plus le même intérêt à me connaître, à poursuivre avec moi une conversation qui m’a beaucoup appris, je le comprends aisément, je vous assure. Il me serait seulement pénible de vous laisser sur l’impression d’une lettre que vous avez reçue de moi avec mécontentement sans doute et qui ne dut pas vous paraître inspirée des sentiments que je vous témoigne toujours. N’ayant aucun écart de pensée à me reprocher à votre sujet, vous imaginez pourtant quelle émotion s’empara de moi à la lecture de ce mot de vous qui me parut impliquer des reproches d’un ordre si grave. J’ai eu tort, très probablement. Les termes de ma réponse, et encore bien moins l’intention que j’y mettais, ne pouvaient rien avoir d’offensant pour vous, je le pensais du moins. Comment voulez‑vous, Monsieur, que j’oublie ce que vous avez fait pour moi, et à plus forte raison qui vous êtes ? Non, cela est impossible.

J’ai, vous le savez, le souci tragique de ma dignité et c’est tout ce qui me porta à cette extrémité : vous parler comme si nous n’avions pas été plus près l’un de l’autre que vous ne désirez l’être maintenant, comme si vous ne m’aviez pas offert jadis votre amitié. Manquer à ce que je vous dois serait manquer en partie à ce que je me dois à moi‑ même. Je vous prie instamment de n’en pas douter. Je n’observerai vis‑à‑vis de vous, en dehors de toute considération d’aide matérielle quand vous aurez cessé de me l’apporter, que l’éloignement que votre désir m’imposera.

Je m’exprime toujours assez mal en pareille circonstance, veuillez me le passer. Mais j’espère avoir encore l’occasion de vous voir un peu longuement et de vous fixer définitivement à ce sujet.

Veuillez, Monsieur, me croire très affectueusement

vôtre
André Breton.

 

Bibliography

BRETON, André, Lettres à Jacques Doucet, éd. Étienne-Alain Hubert, Paris, Gallimard, coll. Blanche, 2016, p. 211-213.

Librairie Gallimard

Creation date	27/11/1924
Postmarked date	28/11/1924
Destination address	Jacques Doucet 46, avenue du Bois Paris XVIe
Bibliographical material	Deux pages sur un feuillet 27 × 21 cm, en‑tête imprimé : BUREAU DE RECHERCHES / SURRÉALISTES / 15, Rue de Grenelle, PARIS (7e) SECRÉTARIAT GÉNÉRAL : FRANCIS GÉRARD / ORGANE MENSUEL : / La Révolution Surréaliste / DIRECTEURS : / PIERRE NAVILLE / ET BENJAMIN PÉRET / 15, Rue de Grenelle, PARIS (7e). Encre bleue. — Enveloppe 13 × 15,5 cm, avec en‑ tête imprimé : BUREAU DE RECHERCHES SURRÉALISTES / 15, Rue de Grenelle, PARIS (7e) SECRÉTARIAT GÉNÉRAL : FRANCIS GÉRARD / ORGANE MENSUEL : / LA RÉVOLUTION SURRÉALISTE / DIRECTEURS : / PIERRE NAVILLE et BENJAMIN PÉRET / 15, Rue de Grenelle, PARIS (7e). Suscription : « Monsieur J. Doucet / 46 avenue du Bois / PARIS / XVIe ». Cachet : Paris 10 Rue de Rennes 16 h 25 28‑11‑24. Encre bleue.
Languages	French
Place of origin	Bureau de Recherches surréalistes 15, rue de Grenelle Paris VIe
Library	Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris : BLJD 7210-64
Size	21,00 x 27,00 cm
Number of pages	2
Copyright	© Aube Breton, Gallimard 2016
Keywords	Correspondence, Letter
Categories	Correspondence, Letters from André Breton
Set	[Correspondance] Lettres à Jacques Doucet
Permanent link	https://www.andrebreton.fr/en/work/56600101001072